Les méandres de mélissandre

Souvenir d'une rêverie scolaire

Depuis mon "Premier désir", j’avais bien vite grandi…

A présent, je me trouvais dans l’enceinte d’un collège, symbolisant pour moi le Palais de l’ennui.

L’ambiance soporifique de ce cours de biologie plongeait mon être dans une léthargie plus ou moins agréable. La voix du professeur, à demi ensevelie par le brouhaha intempestif des élèves derrière moi, ressemblait au son d’une basse ; rythmée et profonde au milieu d’un orchestre aux instruments bruyants. Ce cours était l’exception pour laquelle je daignais quitter "ma" place, au fond des classes, près d’une fenêtre par laquelle j’envoyais flâner mes rêveries. Ici, je n’avais nul besoin d’échappatoire. Le temps coulait comme l’eau d’une rivière et fascinée par le ruisseau, je ne parvenais pas à la contenir dans mes mains sans qu’elle ne dévale le long de mes doigts, incapable de penser à autre chose.

Le ruisseau, c’était Lui. Et la classe était une forêt tropicale peuplée de perroquets jaseurs et colorés qui, sans se soucier de l’eau, faisaient leurs vocalises. Moi; j’étais silencieuse… Les yeux rivés sur le cours d’eau comme une louve assoiffée, punie par un sortilège l’empêchant de s’y abreuver, je demeurais immobile. Terrée sous la racine d’un arbre, j’observais l’eau couler en maudissant le vacarme des criards volatiles. Semblant imperturbable, Il continuait son discours, illustrant son savoir de schémas à la craie qu’aucun ne regardait.

Réalisant soudain que mon esprit divaguait encore, je tentai de reporter mon attention sur le contenu du cours qui, ironie du sort, me passionnait pourtant. Il nous parlait des volcans ; ces créatures titanesques qui, gonflant leurs cheminées de magma brûlant, entraient en éruption. Faisant jaillir des jets de lave fluorescente qui, dévalant le long des roches tremblantes, s’écoulaient du cratère en fins tracés ardents. Je me sentis rougir en découvrant un caractère érotique aux propos innocents de mon jeune professeur. Le visage et le ventre réchauffés par ses paroles sismiques, je l’observai alors. En effet, il paraissait plus jeune que mes autres enseignants et peut-être même qu’il n’avait pas trente ans. Ses cheveux foncés bouclaient légèrement sous des reflets châtains. L’animosité que je voyais surgir de ses yeux marron, dans lesquels j’imaginais y naître du magma, contrastait brutalement avec le sentiment de calme qu’il dégageait - ou bien qu’il s’efforçait à maintenir- face à sa classe bruyante. Cette lueur d’agacement que je découvrais alors, me passionna soudain. Je bouillonnais d’émotions toutes aussi fortes et différentes les unes que les autres. Dans cette cohue de sentiments, je discernais la compréhension face à cette colère que je sentais monter en lui comme la lave dans ses volcans, la curiosité de découvrir une facette inconnue de cet homme qui m’intriguait et, indéniablement, une profonde attirance pour cet élan d’impulsivité que je savais prête à exploser à tout moment.

Se pouvait-il que le paisible ruisseau devienne une vague ravageuse ? Se pouvait-il que l’eau douce se transforme subitement en lave meurtrière?

Plus la tension semblait monter en lui, plus l’excitation grandissait en moi. Ne parvenant plus à me concentrer sur le cours, je me sentais cependant volcanique. Flamboyante de l’intérieur, immobile en dehors, impuissante et tremblante face à l’ascension vertigineuse de mon désir. Après tout, quel meilleur moyen de suivre un cours que d’être au coeur même du sujet étudié, pensai-je ironiquement, sentant la lave bouillonner en moi.Les élèves remplissaient totalement la salle de leurs paroles incessantes et je m’aperçus alors que le professeur ne disait plus un mot. Appuyé sur son bureau, à quelques pas de moi, les bras croisés sur son torse, il fusillait la forêt d’un regard incendiaire.

Soudain, la colère éclata et sa voix, d’une ordinaire paisibilité, se tinta d’une autorité effrayante lorsqu’il ordonna à tous ses élèves de se mettre au travail. Je le trouvais extrêmement attirant, j’éprouvais un immense respect pour lui et une violente envie de lui faire l’amour. N’écoutant même plus ses remontrances, je ne pensais qu’à ses yeux brillants de rage. Ces derniers se posèrent soudainement sur moi et cet éclat flamboyant qui luisait en eux mit mon coeur en émoi. Mon imaginaire fusait en tous sens et je me rêvais assez audacieuse pour le retrouver à la fin du cours, une fois la forêt délaissée de tout oiseau, me retrouvant seule avec l’eau et le feu.

De la création du magma à l’éruption orgasmique, s’Il souhaitait me l’apprendre, alors je voulais tout savoir du volcanisme.

Mon regard gris clair empli de désir était resté figé dans le sien, brûlant et sombre, comme dans l’attente sensuelle d’une réaction de sa part. Durant une seconde, Il sembla perturbé par mon attitude et je me mis à rougir de nouveau sans pouvoir, pour autant, baisser les yeux de ses iris de feu saisis par l’incompréhension. J’avais tant envie de lui, c’en était indescent ! Les élèves n’existaient plus, la classe n’existait plus, je n’avais qu’à tendre la main pour toucher son corps, si proche…

Il tapota sur ma table en prononçant doucement mais sèchement ; "Dehors."

Le coeur sursautant dans ma poitrine, je le regardai avec stupeur, comme s’il venait de me réveiller brutalement. Jetant un oeil autour de moi, je réalisai que toute la classe avait le nez penché sur une feuille de papier et que j’étais la seule à ne pas avoir obéi. La seule à l’avoir fixé au fond des yeux pendant qu’il rugissait de colère. Peut-être même m’étais-je mise à sourire légèrement de fierté et d’envie alors qu’il s’emportait. Confuse et vexée, je rassemblai mes quelques affaires et m’éloignai vers la porte, croisant son regard à la fois sévère et incompréhensif avant de fermer la porte.

Il avait pris mon désir pour de l’arrogance et mon attitude pour de la provocation…

S’il savait… S’il savait ce que j’avais éprouvé pour lui ce jour là.